Une grève très dure et très longue des établissements Delattre et Frouard, entreprise de grosse métallurgie (ponts métalliques, charpente acier …) L’usine est située à Dammarie lès Lys et emploie environ 850 ouvriers dont 70 constituent un syndicat CGT actif et revendicatif. Les ouvriers de cette usine sont en grève depuis 7 semaines pour obtenir une augmentation de salaire de 15% et pour protester contre les licenciements d’ouvriers considérés comme des fortes têtes par la direction. En 1952, les salaires permettent tout juste de survivre, il n’y a que 3 ans que les tickets de rationnement ont été supprimés.
Les délégués ont obtenu 5% d’augmentation, mais sous forme de prime alors qu’ils veulent l’intégration de cette avancée au salaire. Lassés de l’intransigeance patronale, les ouvriers de Delattre retiennent 2 dirigeants patronaux particulièrement arrogants : Courtier et Perret.
La police intervient le 17 mars, les CRS chargent brutalement pour briser le piquet de grève. Les entreprises voisines débrayent par solidarité, tout spécialement, Idéal Standard, usine de radiateurs qui emploie 700 salariés et dont le trésorier du syndicat CGT est le militant communiste Alfred GADOIS. Une première manifestation spontanée se dirige vers la préfecture devant laquelle le commissaire Porte connu pour son goût pour les méthodes musclées et sa proximité avec les mouvements d’extrême droite n’hésite pas à lancer lui-même une grenade offensive en direction du député communiste de la circonscription Gautier. Le ton est donné…
Le lendemain, de très nombreuses entreprises débrayent et une manifestation déterminée mais pacifique fait le tour de la ville de Melun en passant devant le domicile du maire MRP (mouvement républicain populaire, parti de droite démocrate-chrétien) Gaston TUNC, devant la prison où les manifestants réclament la libération d’Henri Martin, quartier-maître communiste incarcéré pour son refus de se battre en Indochine. C’est vers 18heures alors que la manifestation se dirige vers la bourse du Travail que se produit le drame.
Accident ou assassinat délibéré ?
Le cortège se trouve rue Saint Ambroise lorsque 2 camions GMC de l’armée américaine viennent du centre-ville et se dirigent vers Fontainebleau. Au lieu d’attendre que le cortège rejoigne l’avenue Thiers, ils forcent le passage, le premier traverse la manifestation, pour le second, c’est plus difficile, la foule est plus dense, il accélère, des manifestants crient : « US go Home ! », agitent leurs pancartes, une vitre du camion est brisée. Certains témoins affirment avoir vu le caporal Zerafoss brandir un câble, le camion accroche 2 voitures en stationnement, monte sur le trottoir de gauche. Un manifestant : Alfred GADOIS se trouve coincé entre le mur et le GMC, il essaie de sauter sur le marchepied mais le chauffeur le repousse, il tombe et l’arrière du camion l’écrase contre le mur de ce qui est aujourd’hui un magasin de photo, pratiquement à l’angle du carrefour.
Des militants prennent en chasse le camion pour identifier le fuyard.
Alfred GADOIS est transporté à la morgue, la police décide de l’inhumer dans son village natal de la Sarthe afin d’éviter le mécontentement populaire.
Pour empêcher toute forme d’hommage au militant ouvrier, la gare de Lyon est interdite aux voyageurs en direction de Melun. Laurent Casanova, député communiste.
La mémoire
Une toile de style réaliste socialiste sur le modèle de FOUGERON, ayant comme thème la tragique manifestation du 18 mars 1952 est réalisée pour honorer la mémoire de celui qui devient un symbole de la lutte anti-américaine. Elle a failli être détruite après avoir été oubliée dans un placard.
La presse se divise pour relater l’affaire : d’un côté la presse progressiste avec Ce Soir, Libération (journal issu de la résistance dirigé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie), l’Humanité. Ces journaux reprennent la version des manifestants, parfois en mélangeant les événements. Par exemple, les charges (réelles) des CRS et le camion dans la foule sont présentés comme simultanés, ce qui est inexact.
La presse bourgeoise Le Monde en tête reprend sans aucune distance critique la version policière. Elle choisit clairement son camp.
Le caporal Zerafoss n’est pas inquiété et bénéficie d’un non-lieu, ce qui choque une grande partie de l’opinion publique melunaise et Seine et Marnaise. Beaucoup ne comprennent pas que les troupes américaines bénéficient d’une totale impunité et ne puissent être jugées.
La violence de la répression des manifestations de l’époque est difficile à mesurer aujourd’hui. Quelques mois plus tard, en mai 1952 a lieu la manifestation contre la venue en Europe du général Ridgway dit Ridgway la peste. Cette manifestation fait 2 morts et de nombreux blessés, le ministre de l’intérieur Brune, très à droite a réintégré de nombreux policiers pétainistes. La dureté de cette manifestation dans laquelle beaucoup de participants sont munis de manches de pioche et n’hésitent pas à charger la police s’explique en partie par la mémoire du 18 mars, beaucoup de manifestants n’ont pas oublié le décès de GADOIS. On a du mal à mesurer aujourd’hui la rudesse des affrontements de classe de l’époque.