Mesdames, Messieurs, les Parlementaires ;
Mesdames, Messieurs, les Président.es d’associations ;
Monsieur le Secrétaire National du PCF, Cher Fabien ;
Monsieur l’ancien Secrétaire Général de la CGT, Cher Bernard ;
Cher.es Ami.es, Cher.es Camarades,
Il y a 80 ans jour pour jour, le 21 février 1944, étaient fusillés au mont Valérien 22 membres des Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre Immigrée rejoints ensuite par la roumaine Olga Bancic, seule femme de leur réseau décapitée à Stuttgart le 10 mai 1944. « 23 étrangers et nos frères pourtant » comme l’a écrit Louis Aragon dans le magnifique poème qu’il leur a dédié.
Notre émotion est à la mesure de l’évènement que va constituer dans quelques heures, l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian et l’inscription en lettres d’or du nom des 22 autres membres des FTP-MOI torturés puis fusillés, l’arménien Armenak Arpen Manoukian, l’Espagnol Celestino Alfonso, les Italiens Rino Della Negra, Spartaco Fontanot, Cesare Luccarni, Antoine Salvadori et Amedeo Usseglio, les Français Georges Cloarec, Roger Rouxel et Robert Witchitz, les Hongrois Joseph Boczov, Thomas Elek et Emeric Glasz, les Polonais Maurice Füngercwaig, Jonas Geduldig, Léon Goldberg, Szlama Grzywacz, Stanislas Kubacki, Marcel Rajman, Willy Schapiro et Wolf Wajsbrot, et la Roumaine Olga Bancic. A leurs noms s’ajoute celui de Joseph Epstein, dirigeant FTP-MOI, polonais arrêté en même temps que Manouchian, fusillé le 11 avril 1944.
Par ma voix, je tiens à exprimer la reconnaissance de toute la CGT envers celles et ceux qui ont oeuvré à faire entrer au Panthéon Missak et Mélinée Manouchian et les 23 FTP MOI. Vous êtes membres d’associations ou de fondations mémorielles. Vous êtes universitaires. Vous êtes élu-e-s de la République. Vous vous êtes battus pour qu’enfin ces femmes et ces hommes soient reconnus par la Nation et puissent prendre place dans ce lieu réservé aux grandes personnalités de notre pays. Nous vous remercions chaleureusement. Cette victoire vous honore.
Enfin, la place des étrangers et du mouvement ouvrier dans la Résistance est reconnue.
La résistance, les étrangers l’ont payé au prix fort. Les membres des FTP MOI représentent près d’un quart des fusillés du Mont Valérien, fusillés parce que résistants, fusillés parce qu’étrangers, fusillés parce que communistes et fusillés souvent aussi parce que juifs.
Pourtant, il aura fallu 80 ans pour qu’ils et elles soient reconnus comme étant « morts pour la France ».
Leur entrée au Panthéon démontre que la France a toujours été riche de sa diversité, que la France n’est pas une communauté d’origine mais bien une communauté de destin.
Sans immigration, pas de Marie Curie, pas de Josephine Baker, pas de Missak et Mélinée Manouchian.
Sans immigration, pas de reconstruction d’après-guerre, pas de croissance démographique et économique, pas de métissages et d’enrichissements culturels successifs.
Sans le mouvement ouvrier, pas de FTP MOI, ni de Conseil National de la
Résistance, présidé après Jean Moulin et Georges Bidault par notre camarade Louis Saillant.
La panthéonisation de Missak et Mélinée c’est la réparation de cette injustice. C’est un message universel qui souligne combien les idéaux d’égalité des droits, sans distinction de naissance, de croyance ou d’apparence pour lesquels Manouchian et ses camarades ont donné leurs vies, peuvent soulever le monde entier.
Mais ce nouvel unanimisme autour de leur mémoire ne doit pas dénaturer ou dépolitiser leur héritage.
Elles et ils fuyaient les persécutions, l’antisémitisme, le génocide des arméniens, le fascisme de Franco et Mussolini ou encore le nazisme d’Hitler. D’origine et de confessions diverses elles et ils avaient vécu des histoires différentes. Mais elles et ils avaient cette conscience de classe qui en faisait des humanistes, des internationalistes.
C’est d’abord au sein de la CGTU qu’un certain nombre d’entre elles et eux ont trouvé la possibilité de militer sans renier leur histoire et leurs origines. C’est là qu’elles et ils purent s’organiser dans la Main d’œuvre Etrangère, la MOE, créée dès 1923 par la CGTU et qui deviendra la MOI un peu plus tard. A cette période, après l’hécatombe de la grande guerre, la France a besoin de main d’œuvre et organise l’immigration de travailleurs et de travailleuses. Mais ils n’ont aucun droit et sont surexploités par le patronat. La CGTU comprend aussitôt l’enjeu de les organiser pour lutter contre les mises en opposition et créer une solidarité de classe entre français et étrangers. L’organisation en « groupe de langue » italien, yiddish, polonais, espagnol, arménien… permet de rassembler dans un combat unifiant pour les libertés et les droits sociaux sans nier la pluralité des identités et des cultures. La lutte syndicale, hier comme aujourd’hui, permet de rassembler quelque soit l’origine, la religion ou le genre, à partir de batailles concrètes, à partir de son travail et de la défense de ses intérêts face à son employeur.
C’est d’autant plus important qu’après la crise de 1929 et ses violentes conséquences économiques et sociales, le racisme, l’antisémitisme et les ligues d’extrême droite gangrènent notre pays. Si en France nous n’avons pas eu Hitler mais le Front populaire, c’est notamment grâce à la CGT et aux MOI qui jouent un rôle très important dans la lutte contre le fascisme, notamment dans la grande manifestation du 12 février 1934, et dans les luttes sociales des années 30 à commencer par les grandes grèves de 1936. Pourtant, à l’époque, les étrangers n’ont pas le droit de diriger des syndicats. Pourtant, ils et elles n’ont pas les mêmes libertés syndicales et risquent le licenciement et l’expulsion dès qu’ils se mobilisent. Malgré ces énormes difficultés la CGTU compte autour de 30 000 syndiqués étrangers dans les années 30, chiffre qui atteindra 400 000 avec l’élan du front populaire.
La MOI, c’est là que commence à militer Henri Krasucki, membre de la direction parisienne des organisations de jeunes de la section juive de la MOI, résistant à Paris, torturé et déporté à Auschwitz qui deviendra ensuite secrétaire général de la CGT.
Les camarades de la MOI, à l’image de Missak et Mélinée sont profondément internationalistes. Ils et elles sont les premiers à s’enrôler comme volontaires dans les « brigades internationales » pour combattre aux côtés des républicains espagnols l’armée de Franco et la légion Condor envoyée par Hitler. D’autres ont participé activement à l’accueil des réfugiés fuyant le franquisme. Aguerris à la clandestinité et au combat armé au regard de leurs parcours militants, ils furent parmi les premiers à s’organiser dans la résistance, combattant au péril de leur vie l’occupant allemand et les milices de Vichy.
C’est le travail de la CGT et des MOI qui permet d’organiser le grand mouvement de grève de 100 000 mineurs de mai juin 1941, dans laquelle les polonais ont joué un rôle majeur. Les mineurs du Nord Pas de Calais le paieront au prix fort en étant les premiers déportés.
Nous n’oublions pas les nombreux résistants fusillés comme otages à Chateaubriant, Nantes, Voves, Rouillé, Souge et dans tant d’autres lieux.
Nous n’oublions pas celles et ceux, juifs et/ou résistants, qui ont été déportés dans les camps de la mort dont un très grand nombre n’est jamais revenu. Nous n’oublions pas que si nos 23 camarades ont été assassinés par les nazis c’est à cause du régime de Pétain qui a permis leur arrestation. Nous n’oublions pas la rafle du Vel d’Hiv, la déportation puis l’extermination de 12 884 femmes, hommes et enfants juifs organisée par le régime de Vichy dont les héritiers osent aujourd’hui s’inviter au Panthéon.
« Ils n’avaient demandé la gloire ni les larmes, ni l’orgue ni la prière aux agonisants ». Être à la hauteur de leur combat, c’est le perpétuer aujourd’hui à l’heure où nos démocraties vacillent et où l’extrême droite, en France comme dans de nombreux pays du monde n’a jamais été aussi proche du pouvoir.
Elles et ils, comme Missak, sont souvent entrés clandestinement en France.
Auraient-ils, aujourd’hui, accès au droit d’asile ? Elles et ils, comme Missak et Mélinée ont été exploités et souvent licenciés, le seraient-ils encore aujourd’hui ? Elles et ils comme Missak qui a demandé à deux reprises, sans succès, à être naturalisé français ont été victimes de nombreuses discriminations, seraient-ils dans la même situation aujourd’hui ?
Rappelons-nous ces mots de Missak face au tribunal militaire allemand et aux cris de haine de la presse collaborationniste : « Quant à vous, vous êtes français. Nous, nous avons combattu pour la France, pour la libération de ce pays. Vous, vous avez vendu votre conscience et votre âme à l’ennemi. Vous avez hérité de la nationalité française. Nous, nous l’avons méritée ».
Nous ne saurons jamais si, en de pareilles circonstances, nous aurions eu leur courage. Mais ce que nous savons, c’est ce que nous faisons aujourd’hui pour défendre l’héritage du conseil national de la résistance qui n’a jamais été aussi menacé. Ce que nous savons c’est ce que nous faisons pour défendre la sécurité sociale, la liberté de la presse, le statut de la fonction publique, la direction de l’économie par les travailleuses et les travailleurs qui sont aujourd’hui remises en cause par les puissances de l’argent. La CGT sera au Panthéon tout à l’heure pour honorer nos camarades et nous serons notamment représentés par Aliou Ka Moctar, un des 502 grévistes mobilisés depuis bientôt 4 mois pour obtenir leur régularisation. Ce sont eux les héritiers des MOI. Ce sont eux qui démontrent que sur les principes fondamentaux, sur le droit du sol, le droit d’asile et l’égalité des droits, il ne peut y avoir de « en même temps » et de compromission dans les calculs politiciens.
« Quiconque oublie son passé est condamné à le revivre » écrivait Primo Levi. Puisse cette Panthéonisation contribuer à ce que chacune et chacun, à commencer par la classe dirigeante, se rappelle que l’on ne peut faire de compromis sur nos valeurs et principes essentiels, sur cet humanisme radical qui fondait l’alliance de la rose et du réséda, de ces résistants de tous horizons, syndicalistes, communistes, socialistes, chrétiens, gaullistes
Aujourd’hui des ouvriers, des employé-e-s entrent au Panthéon. Elles et ils étaient des immigré-e-s et ont donné leur vie pour nous offrir la liberté. La CGT ne l’oubliera jamais.
Aujourd’hui, nous nous inclinons avec humilité pour honorer leur combat humaniste et antifasciste.
Nous leur disons solennellement qu’ils peuvent compter sur nous pour reprendre le flambeau de la résistance et de la lutte contre le fascisme d’hier et d’aujourd’hui. Pour que La France soit un pays de Liberté, de Paix et de Progrès Social. Pour que, comme nous y invitait Missak, nous puissions vivre heureux.