
Le 8 février 1962, une manifestation pacifique en protestation aux dix derniers plasticages de l’OAS était sauvagement réprimée, laissant morts et blessés sur le pavé parisien. La dimension émotionnelle était pourtant d’autant plus forte que parmi les victimes de cette nouvelle vague d’attentats le 7 février, une enfant de 4 ans, Delphine Renard, fille des propriétaires d’une maison où résidait le ministre André Malraux, avait été défigurée.
La photo de son visage ensanglanté atteignait chacun. Syndicats et organisations de gauche, à l’exception notable du Parti socialiste, appelaient à une manifestation de protestation dès le lendemain. Celle-ci avait également pour objet la fin de la guerre d’Algérie et le droit à l’autodétermination du peuple algérien.
Le pouvoir gaulliste, peu actif pour mettre hors d’état de nuire les plastiqueurs de l’OAS, interdisait la manifestation du 8 février. On s’acheminait pourtant, non sans difficultés, dans la voie de l’indépendance après des années d’une féroce guerre de décolonisation.
Le Premier ministre, Michel Debré, partisan de l’Algérie française, le ministre de l’Intérieur, Roger Frey, le Préfet de police, Maurice Papon, au lourd bilan de collaboration, puis dans la répression de l’insurrection nationale dans l’Est algérien avec usage systématique des crimes et de la torture, puis celle, sauvage, de la manifestation non violente des Algériens de Paris le 17 octobre 1961 avec plus de cent morts et de nombreux blessés, étaient tout trois à la manœuvre.
Si il en fallait une preuve, Michel Debré, dès le lundi 12, « venait apporter le témoignage de sa confiance et de son admiration » à la police parisienne dont les compagnies viennent d’agresser violemment, ivres de rage selon les témoignages, de paisibles manifestants. Il félicitera Roger Frey ainsi qu’à Maurice Papon, rendant « un particulier hommage à (ses) qualité de chef et d’organisateur, ainsi qu’à la façon dont (il a) su exécuter une mission souvent délicate et difficile ».
Le Parisien Libéré et d’autres médias reprennent le mensonge d’émeutiers attaquant la police, tandis que l’Humanité est censurée.
Le peuple de Paris, après une grève générale très suivie, ne s’y trompera pas. Il fera des obsèques grandioses aux victimes le mardi 13 février. Des centaines de milliers de manifestants accompagneront les cercueils de la Bourse du travail au cimetière du Père Lachaise.
63 ans plus tard, c’est donc la reconnaissance de ce véritable crime d’État que le Comité Vérité et Justice pour Charonne vous appelle à exiger du pouvoir.
L’hommage rendu comme chaque année aux victimes revêt cet hiver une importance particulière : Si Jean-Marie Le Pen, chantre de l’OAS, tortionnaire colonialiste, raciste, antisémite, homophobe, anticommuniste viscéral, vient de mourir, ses idées prospèrent.
Non seulement une partie de la droite française n’a pas hésité à le qualifier de visionnaire, mais les hommages rendus par les responsables du Rassemblement national déchirent le voile de respectabilité qui masquent leur véritable idéologie.
Le Pen, qui a créé le Front national avec ses comparses anciens de la Waffen SS, loin d’avoir été le chantre de la souveraineté nationale comme l’affirme Bardella, a toujours soutenu la collaboration avec les nazis, le régime des traitres de Vichy.
Le Rassemblement national assume, comme l’a écrit en son temps Marine Le Pen, la totalité de l’héritage dans ce qu’il a de plus nauséabond. Ses élus, au premier rang desquels Louis Aliot, ont multiplié les stèles glorifiants les criminels de l’OAS. Nombre de ses responsables tiennent ouvertement des propos racistes et antisémites.
Soutenue par les forces étrangères les plus réactionnaires, par les médias de milliardaires qui devant le constat d’un macronisme dévalorisée, qui font pièce sur elle, l’extrême-droite est aux portes du pouvoir.
Il n’y a pas de fatalité à la victoire des partisans de la division des exploités, de la haine, du repliement.
Des millions de nos compatriotes, dans la diversité de leurs opinions et croyances, pratiquent au quotidien la solidarité, se mobilisent dans les luttes sociales et écologiques, avec des valeurs d’ouverture au monde.
Le danger et sans doute immense, mais unis comme nos anciens au temps du Front populaire, de la Résistance, de l’antifascisme des années des guerres de décolonisation, nous devons et pouvons relever le défi.
Les victimes :
Neuf étaient des militants de la CGT et huit du Parti communiste français.
Jean-Pierre Bernard, 30 ans, trois enfants, dessinateur aux télécoms, secrétaire de la section Paris XVe du PCF.
Fanny Dewerpe, 31 ans, un enfant, secrétaire, militante communiste de Montfermeil et militante de L’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE). Sa famille avait été décimée par les nazis. Son mari, André Dewerpe, était mort des suites des violences policière, lors de la manifestation du 28 mai 1952 contre la venue en France du général Ridgway, symbole de la guerre de Corée.
Daniel Féry, jeune communiste âgé de 15 ans, employé à la SERP (Routage de l’Humanité).
Anne-Claude Godeau, 27 ans, employée aux Chèques postaux, Paris XVe, militante communiste.
Édouard Lemarchand, 41 ans, menuisier, militant communiste et associatif à Amboise, venu en région parisienne depuis un an pour travailler au service des ventes de l’Humanité.
Suzanne Martorell, 36 ans, trois enfants, employée au routage de l’Humanité.
Hippolyte Pina, 58 ans, maçon, communiste, il avait quitté l’Italie fasciste dans les années trente.
Raymond Wintgens, 44 ans, typographe, militant de la CGT.
Maurice Pochard, 48 ans, deux enfants, décédé à l`hôpital après deux mois de souffrance des suites de ses blessures.
Le personnel de l’Humanité et de sa filiale avait donc payé un lourd tribu à la répression.
Mais aussi des centaines de blessés, dont certains atteints très grave- ment. Leur état a parfois nécessité des soins intensifs, parfois de longues années.
Un agent de la RATP, Mohamed Aït Saada, 28 ans au moment de la manifestation, resta cloué sur un fauteuil roulant durant 21 années avant de mourir des séquelles en 1983.
Des rescapés, aujourd’hui encore, souffrent dans leur chair des blessures reçues. Sans compter les traumatismes psychiques.